Gestion des forêts au Brésil, la parole aux acteurs : Frédéric Amiel, IDDRI

Au vu de l’actualité récente, Le Commerce du Bois a souhaité consacrer un dossier sur le Brésil dans sa revue d'Automne en mettant en lumière les initiatives privées et publiques de gestion durable des forêts.Nous avons donné la parole à des acteurs ayant une parfaite connaissance du terrain qui, sans chercher à nier la réalité de la déforestation dans le pays, présentent des actions concrètes qui permettent d’aboutir à une production responsable de bois, garante de la préservation de l’environnement et d’un développement économique des populations.
*Les propos recueillis n’engagent que l’interviewé et pas la rédaction*

Voici l'entretien avec Frédéric Amiel, Chercheur, Biodiversité et Chaînes globales de valeur à l’IDDRI

 

Qu’est-ce que l’IDDRI ?
L’Institut du Développement Durable et des Relations Internationales ou Iddri, est un « think tank » qui permet de mettre à disposition des synthèses basées sur la meilleure connaissance possible des résultats scientifiques à destination des décideurs qu’ils soient politiques ou économiques. Nous sommes en quelque sorte une interface entre le monde scientifique et le monde de la décision politique et économique principalement sur les sujets liés au développement durable.
Basée à Paris, notre équipe est composée d’une cinquantaine de personne et nous travaillons autour de quatre programmes : le climat et l’énergie, la biodiversité dans lequel je travaille, la gouvernance (l’aide au développement, les inégalités) et les océans. Nous avons aussi tout un réseau de partenaires : une dizaine de « think tank » et d’instituts de recherche, qui nous permettent de travailler à l’échelle internationale.

Vous travaillez « sur l'impact de la chaine globale de valeur des produits agricoles tropicaux sur la déforestation », pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre mission ?
Je travaille sur un projet spécifique sur le commerce du cacao qui s’inscrit dans un programme de recherche sur les chaînes globales de valeur des produits tropicaux. L’idée est de comprendre l’impact de ces cultures tropicales sur la biodiversité en général et sur la forêt en particulier ; comprendre surtout comment l’organisation du marché, en aval de la production, permet d’identifier des leviers pour une meilleure préservation de la biodiversité. Nous avons par exemple identifié que l’agroforesterie était mise en avant par les producteurs et les personnes qui commercialisent les produits agricoles. Puis nous avons fait une synthèse (ce qu’on appelle un état de l’art de la science) qui nous permet notamment d’alerter sur le fait que même la meilleure agroforesterie reste une dégradation de la forêt par rapport à l’état naturel. Il y a beaucoup d’acteurs qui imaginent qu’un système agroforestier et une forêt sont la même chose. Il y a des arbitrages à faire, il faut trouver des zones de développement agricole, cartographier les zones dans lesquelles on va développer de l’agroforesterie et celles dans lesquelles on va conserver la forêt sans en dégrader le biome.

Concernant l’impact des produits agricoles tropicaux sur la déforestation, quelle est dans les grandes lignes, la situation mondiale actuelle ?
Aujourd’hui on sait que l’agriculture, y compris l’élevage, est la première cause de déforestation. Au niveau mondial, on constate des situations problématiques dans les forêts tropicales notamment dans le bassin de l’Amazonie, l’Afrique Centrale, et la forêt Indo-malaisienne. Le débat qui se poursuit depuis des années c’est la part de l’agriculture industrielle que l’on va trouver plutôt dans le bassin amazonien et en Indonésie et celle de la petite agriculture paysanne plutôt pointée du doigt en Afrique Centrale. Ce n’est pas toujours évident de faire la distinction entre la part de déforestation attribuable à ces deux pratiques, sachant qu’elle se distinguent aussi par leur destination : l’agriculture industrielle est souvent une agriculture d’export et l’agriculture paysanne est plutôt destinée à la consommation locale, (sauf le cas particulier du cacao). On remarque tout de même des surfaces cultivées plus importante pour les cultures de rente, dédiées à l’export.

Que pensez-vous de la situation au Brésil ?
Nous suivons en effet l’état de la dégradation et surtout des politiques de conservation au Brésil comme d’ailleurs dans l’ensemble des systèmes forestiers. Nous commençons à nous pencher dans le cadre de la Stratégie Nationale sur la Déforestation Importée (SNDI) sur l’impact de nos importations de soja sur la déforestation au Brésil et en Amérique Latine. Au sujet de la dynamique de déforestation nous sommes dans une situation préoccupante parce qu’après une courte phase d’amélioration entre 2004 et 2012 (avec une baisse de 80% des taux de déforestation annuelle) on note une reprise de la déforestation depuis six ans qui est accompagnée d’une volonté politique d’encourager la « recolonisation de l’Amazonie ». C’est inquiétant en termes de signaux politiques et on s’attend à des chiffres exceptionnellement hauts pour 2019.

Avez-vous des exemples d'initiatives en matière gestion durable des forêts, ou d’agroforesterie au Brésil ?
J’ai surtout travaillé sur le cacao, or le Brésil n’est pas un gros pays producteur… En revanche, on a pu identifier qu’au Brésil, on trouve les forêts à cacao les plus variés. Les systèmes de « cabruca » sont vraiment des agroforêts extrêmement diverses. Elles sont développées par remplacement progressifs des arbres naturels par des cacaoyers : il y a ainsi une vraie conservation des différentes strates de végétation et également une préservation de la faune de mammifères locaux dans ces agroforêts. Ce qui n’a rien à voir avec ce qu’on peut trouver dans d’autres pays, tant en Amérique latine qu’en Afrique ou en Asie. Mais ce sont en fait des systèmes traditionnels et pas forcément des systèmes mis en place par des institutions privées ou publiques. Il y a aussi beaucoup de travaux de recherche, sur la façon dont on peut pérenniser ces modes de production au Brésil et dans les pays alentour.

Quelles seraient selon-vous les solutions pour limiter la déforestation et la dégradation des forêts ?
C’est une question importante notamment pour la SNDI dont l’ambition est aussi d’intégrer les notions de dégradation. Concernant l’exploitation forestière, sauf peut-être pour quelques réfractaires, tout le monde est maintenant passé à l’exploitation « sélective ». On est donc bien plutôt sur ce qu’on va appeler de la dégradation, même si aujourd’hui la définition n’est pas tranchée : à partir de quand parle-t-on de dégradation ? De déforestation ? Quelles sont les successions d’activités dans les forêts ? Est-ce que la dégradation précède systématiquement la déforestation ? Est-ce qu’au contraire l’exploitation sélective est une forme de conservation des massifs forestiers ? Une forme de préservation face aux exploitations agricoles ? Ce sont des sujets en débat et ce qui est intéressant avec la SNDI c’est qu’elle a ouvert de vrais chantiers d’étude sur ces questions. On peut espérer que le travail engagé va sinon dégager des réponses définitives, en tout cas dégager des pistes d’amélioration du marché, pour s’assurer que tout monde ait une vision identique de la direction dans laquelle il faudrait aller.
Concernant une solution possible pour limiter ces dégradations et la déforestation, il faudrait adapter le marché à la nécessité d’une gestion durable des ressources ce qui veut dire très concrètement, une baisse des volumes. Et il faut aussi porter une attention particulière aux modèles de production. Comme je le disais tout à l’heure, il faudrait « planifier » d’une certaine manière l’exploitation des ressources naturelles dans les milieux forestiers, cartographier les zones de protection, les zones d’exploitation, les zones de conversion agricole, les décider de manière rationnelle et ensuite il faudrait transformer les chaînes de valeurs logistiques pour qu’elles soient capable de s’adapter à cette planification.
Pour la plupart des produits agricoles responsables de la déforestation, les chaines de valeur logistiques sont dépendantes d’un approvisionnement en continu. Une des premières conséquences qu’aurait une planification de l’exploitation des ressources, c’est la rupture d’approvisionnement, ou en tout cas la fluctuation des niveaux d’approvisionnement en fonction des années, des situations climatiques, de la capacité de charge de nos écosystèmes naturels. Aujourd’hui tout ce qui nécessite un appareil de transformation industriel important (huile de palme, cacao, pâte à papier etc.) n’est pas adapté à l’exploitation des ressources compatible avec la variation des cycles naturels. Il faudrait transformer ces appareils industriels et cela nécessite de l’investissement de la part des acteurs privés mais aussi des institutions publiques.

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