Gestion des forêts au Brésil, la parole aux acteurs : Stéphane Hallaire, Reforest’Action

Au vu de l’actualité récente, Le Commerce du Bois a souhaité consacrer un dossier sur le Brésil dans sa revue d'Automne en mettant en lumière les initiatives privées et publiques de gestion durable des forêts.Nous avons donné la parole à des acteurs ayant une parfaite connaissance du terrain qui, sans chercher à nier la réalité de la déforestation dans le pays, présentent des actions concrètes qui permettent d’aboutir à une production responsable de bois, garante de la préservation de l’environnement et d’un développement économique des populations.
*Les propos recueillis n’engagent que l’interviewé et pas la rédaction*

Voici l'entretien avec Stéphane Hallaire, fondateur de Reforest’Action

 

Qu’est-ce que Reforest’Action ?
Reforest’Action est une entreprise créée en 2010 qui a pour mission de restaurer des forêts dégradées et de créer de nouvelles forêts. Nous intervenons en France métropolitaine et dans une quinzaine de pays dans le monde (Amérique du Sud, Afrique, Asie), suite à des tempêtes, maladies, attaques d’insectes (scolytes par exemple), incendies, périodes de sécheresse, etc. Les premiers projets ont eu lieu au Sénégal, puis au Pérou et en Inde. Les projets en France ont vu le jour en 2014 et aujourd’hui 70% des arbres que nous plantons se trouvent sur le territoire français. Nous faisons également de la plantation sur friche. Nous sommes très liés à la filière bois car nous restaurons des forêts qui ont un rôle économique, environnemental et social. Au Brésil nous faisons notamment de l’agroforesterie et nous travaillons surtout sur la dimension sociale en soutenant les villageois dans l’amélioration de leurs conditions de vie. Nous sommes là-bas dans une logique d’aide au développement.
Depuis la création de l’entreprise, plus de quatre millions d’arbres ont été plantés et c’est en très nette accélération puisque nous avons mis sept ans à planter un million d’arbres, un an à planter un deuxième million et en 2019, nous allons en planter trois million et demi.

Comment vous est venue l’idée de créer Reforest’Action ?
Ingénieur centralien de formation, j’ai travaillé douze ans dans le conseil en organisation pour des grands comptes en France et au Royaume-Uni. Mais je voulais avoir une activité professionnelle plus en phase avec mon intérêt pour l’environnement. Je me suis rendu au Sénégal en 2010 pour découvrir ce qu’est un projet d’agroforesterie. C’est une solution que j’ai trouvé assez miraculeuse car l’on agit à la fois pour l’environnement, l’économie mais aussi pour le développement social.

Comment fonctionnez-vous ?
Nous sommes aujourd’hui une quinzaine de personnes basées en France. Nous avons un pôle « forêt » qui regroupe des ingénieurs agronomes et forestiers dont la mission est d’identifier et d’analyser le potentiel des projets qui nous sont soumis en collaboration avec les propriétaires, gestionnaires, ONG, etc. Une fois la plantation réalisée, nous assurons  le suivi des arbres dans la durée avec ces mêmes parties prenantes. Certains membres du pôle « forêts » sont spécialisés sur les forêts françaises, d’autres sur les forêts européennes et encore d’autres sur les forêts tropicales. Il y a également un pôle « relation entreprises » pour répondre aux demandes d’entreprises. Un troisième pôle les accompagne dans leur communication. Nous sommes actuellement dans une période passionnante à très forte croissance où nous avons énormément de demandes auxquelles nous essayons de répondre au mieux. Dans ce contexte, nous avons mis en place un processus éthique et un comité éponyme qui nous aident à encadrer notre gouvernance et la communication réalisée par les entreprises qui nous financent Nous avons également un pôle « particuliers » avec plus de cent mille citoyens ayant planté des arbres au cours des dernières années, ainsi qu’un pôle « administratif ».
Concrètement, nous collectons des fonds auprès d’entreprises, « les contributeurs », et de particuliers qui souhaitent agir en faveur de l’environnement en plantant des arbres et en restaurant des forêts. Nous leur proposons des projets forestiers répondant à un cahier des charges qui doit permettre de renforcer les différents services écosystémiques forestiers sur le long terme : la biodiversité, le stockage carbone, l’emploi, en intégrant également la dimension sociale.

Chaque année en France, nous lançons un appel à projets avec, par exemple pour 2019, deux millions d’arbres à planter. Pour ce qui concerne l’Europe et le monde, nous avons moins de visibilité sur les volumes, donc nous allons chercher les projets quand une entreprise nous demande d’intervenir dans la durée dans un pays.
En France, les arbres sont plantés dans des forêts publiques et privées et nous travaillons avec des gestionnaires forestiers. Ces derniers nous proposent des projets avec les essences qu’ils aimeraient trouver. Après analyse de leurs projets et en fonction de notre cahier des charges, nous validons avec eux ce qui sera mis en terre. Notre principale demande c’est qu’il y ait une diversité d’essences afin que les forêts soient plus résilientes aux aléas naturels et manifestations du changement climatique. Les arbres plantés sont le plus souvent adaptés au climat local, au sol et au tissu industriel de la région. Certains de ces arbres sont destinés à être exploités et à alimenter la filière. Nous demandons par la suite une gestion durable des forêts sur lesquelles nous intervenons.
Dans les pays en voie de développement, au Brésil, au Sénégal, etc., nous travaillons sur des projets sociaux en faisant de l’agroforesterie. Nous intervenons dans des régions où il y a une très forte compétition entre les surfaces agricoles et forestières. Les paysans déforestent pour  diverses raisons : cultiver de façon intensive le soja par exemple, produire du charbon de bois pour se chauffer et cuisiner ou encore pour construire leur maison avec le bois environnant. La plupart du temps ils possèdent un champ et nous travaillons avec eux pour y réintroduire des arbres en haie ou en plein champ mais avec de grands espacements pour qu’ils puissent associer leurs cutures à la plantation d’arbres. De cette manière, ils bénéficient toujours du produit de leur culture mais, en plus de cela, des fruits des citronniers, manguiers, anacardiers, etc. qu’ils pourront vendre sur les marchés pour avoir un complément de revenus et une alimentation plus diversifiée. Ce qu’on cherche surtout c’est l’impact social : aider les gens à se sortir de la pauvreté.

De quelle manière intervenez-vous au Brésil ?
Au Brésil, nous soutenons à la fois l’agroforesterie et la restauration de la forêt. Nous sommes présents dans l’État du Rondônia qui est très fortement déforesté par les grands industriels mais aussi par les petits paysans qui, pour subvenir à leurs besoins, brûlent des forêts pour y mettre du bétail ou du soja. Via l’agroforesterie, nous proposons aux petits producteurs une alternative durable à l’agriculture intensive qui épuise les sols et entretient le cercle sans fin de la déforestation. En effet, une fois la terre épuisée par la culture intensive du soja, les petits producteurs déboisent une nouvelle parcelle de forêt pour reproduire ce cycle de culture intensive et déforester ailleurs par la suite. Grâce à l’agroforesterie, ils rentabilisent davantage leur hectare, tout en respectant les sols et la biodiversité. Ce mode de culture durable contribue ainsi concrètement à lutter contre la déforestation. Opérationnellement, nous travaillons avec une ONG locale « Rio Terra » riche de vingt ans d’expérience et nous nous appuyons sur leur savoir-faire. Ils font de la sensibilisation aux conséquences de la déforestation auprès des paysans et de la formation sur la manière de profiter des arbres et de l’agroforesterie. Notre équipe fait également des visites de terrain pour suivre le projet, apporter une expertise, faire des relevés d’indicateurs de suivi pour constater ce qui fonctionne et ce qui doit être amélioré.

Pouvez-vous nous parler de la situation actuelle au Brésil ? Que pensez-vous de sa médiatisation ?
Il y a eu un très fort intérêt médiatique durant trois semaines qui est retombé. Cela a néanmoins permis de mettre en lumière cette situation inquiétante. Tout le monde sait maintenant qu’il y a un enjeu aussi bien politique que citoyen en Amazonie, mais ce n’est pas nouveau.
Au Brésil, nous reboisons également des zones communautaires : outre à l’agroforesterie que l’on soutient, on recrée également un écosystème forestier diversifié avec les populations indigènes. Au total cette année, notre soutient se porte à cent-vingt mille arbres plantés et il a vocation à croître. Mais ce n’est qu’une goutte d’eau par rapport à l’ampleur du problème car on voit que la déforestation reste massive. D’où l’intérêt de lutter en amont contre la déforestation importée, en tant qu’Etat, entreprise et citoyen. C’est un enjeu essentiel. En tant qu’entreprise par exemple, l’idée est de tendre vers une chaîne de valeur « zéro déforestation », en tant que particulier, je peux acheter du bois certifier ou réduire ma consommation de viande industrielle.

Y-a-t-il selon vous une prise de conscience de la dégradation de l’environnement dans le monde ?
En France, il y a eu, en 2015, la COP 21 qui a été un premier élément déclencheur en faveur du climat et, depuis un ou deux ans on voit des manifestations d’étudiants et d’associations dans les rues avec des gens qui mettent le climat en premier sujet d’inquiétude avant même le chômage ou le pouvoir d’achat. Depuis dix-huit mois il y a en effet une vague incroyable de prise de conscience sur les sujets environnementaux.

Comment pouvons-nous agir en France pour limiter la déforestation ?
La reforestation seule ne va pas résoudre le problème brésilien, il faut avant tout lutter contre la déforestation liée au bétail et au soja. Le meilleur moyen d’agir pour la forêt au Brésil est de changer son mode de consommation. Quand on achète par exemple de la viande industrielle, on sait qu’il y a de fortes chances que l’animal ait été nourri au soja qui vient du brésil et donc c’est une forme de déforestation importée. Tant qu’il n’y a pas un soja labellisé par exemple, il n’y a pas de certitude qu’il ne soit pas issu de la déforestation et le principe de précaution s’applique.
En tant que consommateur vous pouvez aussi agir en réduisant votre emprunte sur l’environnement et la forêt en particulier. Sur notre site, nous avons mis en place un calculateur qui est basé sur les données de l’ADEME et nous donnons aussi des « trucs et astuces » pour lesquelles nous nous appuyons sur des données du WWF et de la FAO.

Vous avez mis en place un site internet qui permet aux internautes de planter un arbre dans la zone de son choix, pouvez-vous nous en parler ?
On a voulu créer un concept très innovant : la « plantation participative » ou le « crowdplanting » où chacun prend part au projet de reforestation. Cela passe par le choix du lieu de plantation de son arbre. Cette plateforme créée en 2010 permet de découvrir les projets dans le détail, de choisir le lieu de plantation et le nombre d’arbres que l’on souhaite planter. Il y a la possibilité de planter directement en ligne mais aussi d’offrir des arbres en cadeau. Chacun de ces arbres permet de renforcer les services écosystémiques sur le long terme : certains sont destinés à être coupés et d’autres non, tout en restant dans une logique de gestion durable des forêts. L’essence de l’arbre ne peut cependant par être choisie car il faut conserver un équilibre entre les essences plantées, choisies au préalable dans le cadre du projet. Ce qui fait notre particularité c’est que nous sommes dans un système de réseau et d’entraide où chacun contribue à la réussite d’un projet.

Avec quels types de partenaires travaillez-vous ?
Nos partenaires nous soutiennent sur plan technique, avec des partenariats d’expertise, ou des partenariats opérationnels. Nous travaillons par exemple avec Fransylva et l’ONF pour identifier des projets. Avec l’Inra, nous avons mis en place un indicateur de suivi économique, avec France Nature Environnement c’est un indicateur sur la biodiversité, etc.

Avez-vous un message à faire passer ?
Nous invitons chacun à planter sa forêt, à titre particulier ou professionnel, même si elle est petite. On a tous besoin d’un forêt diversifiée, multifonctionnelle qui sert l’industrie, l’emploi, mais aussi l’environnement et le bien-être.

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