Gestion des forêts au Brésil, la parole aux acteurs : Rui Pedro Ribeiro, IDH « the sustainable trade initiative »

Au vu de l’actualité récente, Le Commerce du Bois a souhaité consacrer un dossier sur le Brésil dans sa revue d'Automne en mettant en lumière les initiatives privées et publiques de gestion durable des forêts.Nous avons donné la parole à des acteurs ayant une parfaite connaissance du terrain qui, sans chercher à nier la réalité de la déforestation dans le pays, présentent des actions concrètes qui permettent d’aboutir à une production responsable de bois, garante de la préservation de l’environnement et d’un développement économique des populations.
*Les propos recueillis n’engagent que l’interviewé et pas la rédaction*

Voici l'entretien avec Rui Pedro Ribeiro, consultant au Brésil pour IDH*

 

Pouvez-vous décrire votre projet dans l’Etat du Mato Grosso au Brésil ?
Nous avons réalisé, au Brésil, que le seul moyen que nous avons réellement pour lutter contre la déforestation et pour préserver les forêts est la mise en place de plans d’aménagement et l’implémentation de la gestion durable des forêts.
Le Brésil a travaillé durant ces 25 dernières années pour établir les règles et le cadre légal pour la gestion des forêts dans la zone amazonienne de manière durable, en terme économique, environnemental et social, que soit dans des aires publiques ou privées.
Le gouvernement a mis en place un cadre légal très important pour les forêts publiques mais malheureusement au Mato Grosso nous n’en avons pas beaucoup. Pour vous donner une idée, la surface totale du Mato Grosso est de 90,3 millions d’hectares dont 20,1 millions d’hectares sont consacrés à des unités autochtones et de conservation, soit seulement 23,4% de sa surface en aires publiques. 32,5 millions d’hectares, 36% de sa surface, sont dédiés à l’élevage et à l’agriculture alors que 37,7 millions d’hectares sont des forêts privées, soit 41,7 % de la surface de l’État. La plupart des plans d’aménagement au Mato Grosso sont privés : actuellement l’État possède 3,7 millions d’hectares de forêts privées gérées durablement et l’objectif de notre projet est d’augmenter ce chiffre à 6 millions d’hectares d’ici 2030. Par ce biais, notre aspiration principale est de combattre la déforestation : si les forêts sont gérées durablement, elles seront maintenues et ne seront pas converties en terres agricoles.
Afin d’atteindre cet objectif, IDH a signé un accord avec « PCI »** (Produire, Conserver et Inclure) au Mato Grosso, qui a la capacité de mettre en œuvre cette transformation dans les 10 prochaines années et de les aider à valoriser le bois.

Nous avons remarqué au Mato Grosso, que la plupart des efforts que nous avons fait pour mettre en valeur le bois provenant de nos forêts gérées durablement, n’atteignaient jamais les marchés qui valorisent réellement ces bois, tel que le marché européen. Nous encourageons donc fortement l’État à mettre en place des lois sur la gestion durable des forêts pour que ces dernières soient reconnues comme source légale de bois. Nous souhaitons pouvoir valoriser nos bois, comme le font sur leur marché l’Europe, les États-Unis ou même l’Asie.
Nous essayons de comprendre pourquoi nous n’arrivons pas à vendre nos bois en dehors du Mato Grosso. Nous souhaitons donner au bois sa juste valeur et restituer une partie de cette valeur aux producteurs pour qu’ils puissent maintenir cette gestion durable des forêts et in fine, lutter contre la déforestation. Et c’est l’objectif principal de notre projet. Ce que nous essayons d’atteindre à terme est un modèle qui pourrait être accepté par les producteurs et aussi par les consommateurs.
Pour cela nous procédons en quatre étapes et les trois premières étapes sont très importantes. La première consiste en un Benchmark pour comparer le RBUE, qui est la base du système de contrôle des bois importés en Europe, avec SISFLORA qui est le système de contrôle au Mato Grosso, et pour essayer de savoir si ces deux systèmes se correspondent. Les consommateurs européens, veulent non seulement acheter du bois qui répond aux exigences du RBUE mais veulent aussi des bois certifiés. C’est pourquoi, nous avons inclus dans ce Benchmark les trois principaux systèmes de certification qui sont FSC, PEFC et le Bois légal. Nous avons constaté que ces systèmes de contrôle se correspondent parfaitement et que SISFLORA est aujourd’hui au niveau du RBUE en termes de légalité.
Mais nous avons aussi fait un Benchmark auprès du marché et nous avons constaté que ce n’est pas suffisant pour ce dernier. Celui-ci a besoin que ce système de contrôle soit également audité par une tierce partie pour lui assurer que les deux systèmes soient officiellement « synchronisés ».
La seconde étape a consisté dans la rencontre avec les producteurs, les personnes responsables de l’implémentation et du contrôle de SISFLORA et celle responsables du renforcement et de l’application des lois dans l’État du Mato Grosso. Cela dans le but de comprendre comment, les acteurs du côté des producteurs, sont capables d’assurer au marché qu’ils agissent conformément à la légalité et à la gestion durable.
La troisième étape a été de s’adresser aux consommateurs et à l’ensemble des acteurs concernés par ce sujet en Europe : fédérations de commerce du bois, acheteurs, entreprises de commerce, consommateurs finaux, ONGs, Commission Européenne etc. Nous leur avons demandé ce qu’ils attendaient du bois provenant du Mato Grosso. Nous ne pouvons pas leur demander ce qu’ils veulent du bois provenant du Brésil parce que c’est un pays tellement vaste avec des zones différentes les unes des autres. Nous devons traiter le Brésil État par État car chacun d’eux possède son propre type de forêt. Même au Mato Grosso, les forêts ne sont pas les mêmes à l’Est et à l’Ouest : elles devraient donc être traitées différemment.
Le Mato Grosso étant le plus gros producteur de bois tropical au Brésil nous leur avons donc demandé ce qu’il fallait au bois de cet État pour qu’ils l’achètent. Nous avons compris deux choses : la première est que nous avions raison à propos des besoins du marché européen nécessitant un contrôle par tierce partie. Dire du bien de notre système ne suffit pas, il faut un contrôle externe. La seconde concerne la gestion durable et la certification. Mais nous avons aussi appris qu’il y avait un certain nombre de questions mineures dont nous devons néanmoins nous occuper au cours de ce projet.
Nous avons aussi constaté lors de ces différentes rencontres en Europe qu’il y a une énorme demande en Bois Tropical. Il y a un besoin de substitution pour le béton, l’acier dans la construction.
A la fin de cette étape, nous aurons une vue d’ensemble grâce à laquelle nous pourrons bâtir un modèle pour assurer au marché que le bois du Mato Grosso est fiable : non seulement légal mais géré de manière durable. Nous espérons que ce modèle sera un exemple et motivera plus de personnes au Brésil à mettre en place des plans d’aménagement afin de stopper la déforestation, ce qui est l’objectif du projet.

Comment fonctionne votre partenariat avec CIPEM*** ?
Le CIPEM fait partie du projet, c’est plus fort qu’une simple collaboration. IDH et CIPEM sont tous deux membres du PCI. Pour ce projet IDH a signé un accord à la fois avec CIPEM et avec l’Agence de l’environnement du Mato Grosso pour avoir le soutien complet à la fois des producteurs et de l’organisme chargé du renforcement des lois et afin de construire avec eux un modèle qui peut être appliqué sur le terrain. Au sein du CIPEM on retrouve toute la chaîne de valeur du Mato Grosso : des propriétaires forestiers, des opérateurs en charge de mettre en place les plans d’aménagement durables, des industriels de la forêt, etc. Ils ont compris que respecter les règles de gestion durable et de légalité ne peut être que bénéfique pour eux. Ils sont très enthousiastes à l’idée valoriser davantage leurs produits et de pouvoir le commercialiser sur de nouveaux marchés. Mais nous devons commencer petit puis grandir à partir là.

Quand le projet a-t-il débuté, quelle est sa durée ?
Nous avons commencé en septembre 2019 et c’est un projet de 6 mois donc nous espérons avoir terminé en février 2020. Nous avons accompli les trois premières phases, et nous traitons actuellement toutes les données que nous avons rassemblées. Lorsque le modèle sera construit, il doit être approuvé par CIPEM, IDH et l’Agence de l’environnement mais aussi par les consommateurs. Et la dernière étape du projet sera la mise en place et le pilotage de ce modèle.

Comment travaillez-vous avec le gouvernement de l’État du Mato Grosso ?
Nous avons un immense soutien de la part de l’État pour ce projet. Ce sont eux qui doivent mettre en place le SISFLORA et, ce qui nous réjouit c’est qu’ils accepteraient d’être audité par une tierce partie. Bien sûr il faut rester prudent car certaines informations doivent être protégées mais en dehors de cela, ils sont très ouverts à ce sujet. A mon sens, pour le Brésil, le seul moyen de nos jours pour lutter contre la déforestation c’est la gestion durable des forêts. Le bois est la solution, ce n’est pas le problème, il est la clé pour que les forêts prennent de la valeur et soient protégées.

Que pensez-vous de l’agroforesterie ?
Je pense que pense c’est une bonne chose. Mais ce n’est pas une vraie solution pour les forêts tropicales. En effet, la forêt regorge de nombreux autres produits que bois et cette économie est importante mais, de mon point de vue, on ne peut pas la mettre en place si on n’a pas mis en place de plan d’aménagement de cette forêt. L’agroforesterie suppose de plus, que vous coupiez des arbres pour y mettre des cultures. Mais c’est une méthode qui peut être utilisée pour des terres qui ont déjà été déforestée. Notre solution est différente : comme expliqué plus tôt, la plupart des forêts du Mato Grosso sont des forêts privées et pour éviter que les propriétaires se mettent à déforester nous les incitons à instaurer un plan d’aménagement durable sur toute la surface de leur forêt. Ce qui leur permettra de gagner de l’argent grâce aux produits générés par cette forêt, et de les préserver.

Pourquoi avoir choisi le Mato Grosso pour ce projet ?
Parce que le Mato Grosso est un État ou l’agriculture est très développée, et que de ce fait, il a un énorme enjeu lié à la déforestation. L’État a beaucoup combattu ce problème cette dernière année, en dépensant beaucoup d’argent, en encourageant les gens à ne pas créer d’autres terres à cultiver et au Nord du Mato Grosso à ne pas toucher à la forêt amazonienne, en poussant les producteurs à la légalité et la gestion durables des forêts. Je pense qu’aujourd’hui le Mato Grosso est le meilleur État du Brésil luttant contre ce problème car le gouvernement, le service de renforcement des lois, les producteurs sont tous engagés. Pour moi, cet État est maintenant dans une bonne position pour amorcer et piloter quelque chose qui peut être utilisé comme communication positive vers les autres États du Brésil.

Un message un faire passer ?
Ce projet est toujours en cours, nous n’en avons pas encore les résultats définitifs. Mais j’insiste sur le fait que le bois et la gestion durable des forêts est LA solution pour combattre la déforestation. Nous en sommes convaincus : c’est pourquoi nous sommes là, c’est pourquoi IDH met autant d’énergie dans ce projet.

* Qu’est-ce qu’IDH ?

Durant les Accords de Schokland en 2007, les entreprises, les syndicats, les ONG et plusieurs ministères néerlandais avaient reconnu la nécessité d'unir leurs forces pour stimuler le commerce durable. Fondé en 2008, IDH « the sustainable trade initiative » a été développé pour rassembler des partenaires publics et privés, (réunissant des entreprises, des organisations de la société civile, des gouvernements, etc.) afin de fixer conjointement des objectifs ambitieux et de formuler des plans de co-investissement ayant un impact à grande échelle sur les objectifs de développement durable. Sa mission repose sur trois valeurs fondamentales : le rassemblement, le cofinancement et l'apprentissage/l'innovation. IDH est soutenu par de nombreux gouvernements européens et des donateurs institutionnels. Il collabore avec plus de 600 entreprises, des organisations de la société civile, des institutions financières, des organisations de producteurs et des gouvernements dans plus de 40 pays.

** La stratégie « PCI » (Produire, Conserver et Inclure) est le plan de développement durable de l’État. Elle repose sur un large éventail d'objectifs visant à concilier une économie durable à faible émission de carbone avec la conservation de l'environnement et l'inclusion sociale et productive, contribuant ainsi à l'atténuation du changement climatique et à l'adaptation à ses effets.

*** Le Centre des producteurs et exportateurs de bois de l'État du Mato Grosso (Cipem) est l'union de huit syndicats d'employeurs du secteur forestier, qui vise à organiser et à renforcer le secteur. Elle encourage la productivité et la consommation responsable du bois et de ses produits dérivés de manière durable, dans le respect de la législation en vigueur et en harmonie avec l'environnement. Fondé le 2 juillet 2004, le Cipem couvre 100% des municipalités qui produisent du bois indigène au Mato Grosso et travaille à dédiaboliser l'image du secteur forestier. Le secteur est la 4ème économie de l'Etat et a une grande importance dans le développement économique et social, à travers le recouvrement des impôts et la création d'emplois.

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